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9 juillet 2013 2 09 /07 /juillet /2013 10:31

Vu sur Télérama.fr

Quelque 450 000 vinyles, 220 000 CD, deux millions de fichiers son... Aux portes de Paris se cache une caverne d'Ali Baba sonore : la “disco” de Radio France. Visite guidée.

Au sein de Radio France, c'est un sous-marin discret dont le grand public ne soupçonne pas l'importance. La DNC, ou Discothèque numérique centrale - surnommée « la disco » par son personnel -, irrigue les contenus des stations de la Maison ronde. Visite guidée de cette immense caverne d'Ali Baba, où il fait bon se perdre.

 

« La disco », qu'est-ce que c'est ?

Une structure fondée en 1945, du temps de la Radiodiffusion française. Elle compte alors 12 000 78 tours dans ses rayons. En 1986, l'informatisation de son fonds débute - elle s'enorgueillit, huit années plus tard, de compter 400 000 morceaux indexés sur ordinateur. Le patron des lieux, au look travaillé (entre Elvis Presley et -M-), s'appelle Marc Maret. Depuis deux ans, ce dandy de 44 ans, ancien producteur de Pow woW ou de Zen Zila, veille sur une malle aux trésors recelant 363 cylindres phonographiques, 450 000 vinyles et 220 000 CD. « Nos serveurs informatiques comportent deux millions de fichiers son », explique-t-il dans un bureau parsemé de pochettes, où trône un flamboyant juke-box. Chaque mois voit arriver 700 nouveaux disques - tous genres confondus, achetés par Radio France ou envoyés par les services de presse des maisons de disques.

Qu'y trouve-t-on ?

Des documents sonores en pagaille. Des discours d'Angela Davis, un éclat de rire enregistré par Thomas Edison, la collection de chants de prisonniers d'Alan Lomax, des ritournelles de Papouasie-Nouvelle-Guinée, des chansons de Georges Brassens ou de Woodkid...

La liste paraît infinie, extraordinairement éclectique, et donne le tournis. Si la CDthèque de Radio France, dans le 16e arrondissement (où la plupart des employés travaillent), compte 50 000 disques, c'est à la lisière du périphérique, porte d'Aubervilliers, que se trouve la plus grande partie du fonds. Dans un vaste entrepôt trônent un million de références sur 600 mètres carrés. Un véritable frigo - où doudoune et écharpe sont de rigueur - fait de béton brut et de rails métalliques.

On s'y trouve en même temps que Vladimir Cagnolari et Soro Solo, les producteurs de L'Afrique enchantée, sur France Inter, venus enregistrer un épisode de Radio Vinyle (lire encadré) avec la chanteuse Rokia Traoré. « Ici, l'artiste est en contact direct avec l'histoire de la musique, se réjouissent-ils. L'endroit est moins désincarné qu'un studio et donne le sentiment d'avoir le monde à portée de main. »Et pour cause : des coffrets de Richard Anthony et de Frank Sinatra y côtoient le mythique catalogue classique de Deutsche Grammophon. On tombe même sur une mystérieuse Polka des artilleurs, éditée par le label Corona ­— il s'agit d'un vinyle offert par un généreux auditeur (la disco fait l'objet d'une demi-douzaine de donations par an, comprenant 10 à 10 000 disques).

Difficile de ne pas se perdre parmi les rayonnages, bourrés de pochettes aux tranches alléchantes, marquées par des chiffres cabalistiques. « Les disques sont installés par ordre d'arrivée ou de label, c'est selon, note Marc Maret. Il y a eu différentes vagues de rangement, au gré des responsables successifs... » Des cartons figurent le « cimetière », à savoir les doublons - « par le passé, il nous a fallu posséder jusqu'à dix exemplaires de chaque album afin de pouvoir les faire tourner physiquement auprès des producteurs ».

Désormais, quand on dénombre plus de cinq échantillons d'une même œuvre, direction le « désherbage », qui marque la sortie officielle du stock. Que deviennent ensuite ces objets ? « La question est ouverte, avoue le tenancier de la disco.J'aimerais les vendre, pour réinvestir ensuite dans de nouvelles acquisitions. »Celles de fichiers numériques, « car il faut vivre avec son temps », même si les coffrets sont toujours prisés pour la valeur documentaire de leur livret.

Qui y fait quoi, pour qui, pourquoi ?

Dans cette ruche s'agitent 47 personnes. Parmi eux, 22 documentalistes creusent une thématique précise et assurent le référencement des titres. « On propose, et les producteurs des différentes radios disposent, précise Anne Voisin, documentaliste référente pour France Musique. On met en avant des choses rares et pointues, on défriche des angles intéressants. Par exemple, dans le cadre d'une semaine dédiée à Benjamin Britten, les interprètes russes de ses compositions. »Avant tout, la disco est « au service des antennes », martèle Marc Maret. « Si France Culture prépare une émission sur la couleur jaune, nous mettons en avant Yellow Submarine, des Beatles. Si le contenu porte sur San Francisco, nous appelons les labels locaux afin de connaître l'actualité musicale de la ville. Nous offrons ainsi une expertise et une base de données. »

Cette base de données, il faut l'alimenter par un référencement ultra pointu. « Nous entrons toutes les informations possibles sur chacun des morceaux d'un disque,détaille la documentaliste Nathalie Rouvillain. Il s'agit d'indiquer le titre de la chanson, son auteur, ses interprètes, sa durée, mais aussi le nombre et la qualité des instruments, ou encore les sujets abordés. » Ainsi, les termes « saison » et « vie quotidienne » seront accolés à Une petite pluie, de Nicolas Jules, afin de pouvoir catégoriser le morceau et de le retrouver en cas d'émission sur le temps qu'il fait ou l'ordinaire.

Pour nourrir cette machine gargantuesque, il faut sans cesse acheter, réceptionner et digitaliser de nouveaux documents sonores. Seize employés sont chargés de la gestion du stock et de la numérisation. Ils veillent aussi à la restauration des vinyles, pour en retirer les rayures sans altérer la chaleur du son (une opération qui peut prendre jusqu'à quatre heures pour un 33 tours sérieusement abîmé). Le miel de cette ruche est téléchargeable par 1 500 salariés de Radio France (réalisateurs, attachés d'émission, producteurs, journalistes), mais tout le personnel de la Maison ronde peut écouter en streaming.

Pour diffuser cet incroyable matériau, la disco fait assaut de communication. Chaque semaine, elle envoie par mail ses « bons plans », à savoir une sélection pointue, censée donner des idées à ceux qui nourrissent les antennes. Elle irrigue la programmation de Dites 33, émission mensuelle consacrée au vinyle sur Fip ; offre « La minute de Madame Disco » dans Changez de disque !, sur France Musique ; diffuse sur la plate-forme web France Culture Plus Face B, une playlist de quinze titres ; organise les enregistrements de Radio Vinyle en ses murs ; planifie des expositions — dont celle récemment consacrée à Patti Smith au Printemps de Bourges. Une façon frénétique et bénéfique de partager ses pépites, de donner à entendre un patrimoine commun, gardé avec soin.

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